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Entretien avec...

Jean Louis GOURAUD

Jean-Louis Gouraud a fait ses premières armes dans quelques grands quotidiens parisiens : le Figaro, l'Aurore, Combat. Puis il a créé sa propre maison d'édition. Il est devenu le plus grand éditeur de littérature équestre nous livrant des oeuvres particulièrement originales tout en travaillant à la publication d'anthologies consacrées au cheval, et à la réédition des meilleurs récits classiques du voyage à cheval et de l'aventure équestre.
Ecrivain à l'immense
culture du cheval et des peuples cavaliers, son talent s'exprime dans de multiples domaines.
Il s’est trouvé par deux fois à l’initiative de films : Riboy, qui a inspiré le "Chamane" de Bartabas et "Serko", qui conte l’épopée du cosaque Dimitri Nikolaïevitch Pechkov et de son cheval Serko, qui à la fin du XIXe siècle, ont parcouru 9 000 kilomètres du fleuve Amour jusqu’à Saint-Pétersbourg.

Il a dirigé aussi, pendant sept ans, la rédaction du principal hebdomadaire spécialisé dans les affaires africaines, Jeune Afrique, puis pendant vingt ans, une société d'édition et de conseil en communication spécialisée elle aussi dans les affaires africaines et arabes. En bref, il a passé quarante ans de sa vie entre ses bureaux parisiens et l'Afrique, le monde arabe, la Russie et les républiques d'Asie Centrale, la Mongolie, la Chine du nord, et l'Inde.
Il s'est illustré aussi en accomplissant un voyage de trois mille kilomètres de Paris à Moscou avec deux chevaux en 1990 !

Bernard CHIRIS
Jean-Louis, après avoir parcouru d'innombrables chemins à travers le monde, pensez-vous que le cheval et l'équitation puissent nous mener sur un chemin de connaissance de soi ?

Jean-Louis GOURAUD
Oui, oui, à certaines conditions… sûrement, sûrement… mais à condition, à mon avis, qu'elle passe par une connaissance du cheval lui-même. C'est-à-dire, je ne crois pas qu'il soit possible de considérer le cheval seulement comme un instrument, un outil ou un gadget pour cela…je reconnais que ça a été souvent le cas. On a dit, d'ailleurs bien avant moi, que le cheval est un divan à quatre pattes. C'est vrai que beaucoup de gens s'en servent comme exutoire ou comme moyen de régler leurs problèmes.
Mais d'abord, et je le déplore, considérer le cheval simplement comme un instrument, un outil, une médecine ou un médicament est très réducteur. C'est une mauvaise utilisation, outre que je n'aime pas ce mot là non plus, une mauvaise approche du cheval qui est peut être bien plus riche qu'un simple instrument, qu'un simple outil pour régler ses propres problèmes, pour aboutir à une meilleure connaissance de soi-même. Je crois que la meilleure connaissance de soi-même, on y aboutit que lorsqu' on a eu, comme c'est votre cas d'ailleurs, un chemin qui transite par la connaissance du cheval.
Voilà… réponse ambiguë peut-être mais sincère.

On retrouve le cheval dans toutes les civilisations, à toutes les époques. C'est une constante. En dehors de l'intérêt utilitaire et militaire dans le passé, d'où vient cet attrait pour le cheval que l'on retrouve absolument dans toutes les civilisations.

Oui, oui…D'ailleurs pour bien montrer à quel point le cheval n'est pas un animal comme les autres, il y a à mon avis un détail qui le rend radicalement différent de tous les autres quadrupèdes mammifères. Il est le seul que l'homme enterre ! Dans tous les temps, dans toutes les civilisations, en tous lieux.
Oui, mais on me dit : et le chat en Egypte ? Mais oui ! C'était le chat, et en Egypte ! Et encore, c'était uniquement dans l'Egypte pharaonique.


Le chat était un symbole aussi…

Mais limité dans le temps et dans l'espace de la même manière qu'on enterre aujourd'hui ici ou là des chiens. Mais c'est un phénomène occidental et récent de pays riches alors que l'enterrement des chevaux, c'est un phénomène universel et extrêmement ancien. Tout le monde connaît les fameuses tombes de chevaux des Scytes, de cette civilisation des steppes. Mais il faut savoir que les Gaulois aussi enterraient les chevaux. Récemment, très récemment, il y a 2 ou 3 ans seulement, avant d'entreprendre les travaux de contournement d'une autoroute autour de Clermont-Ferrand, et heureusement en France il y a des dispositions, on appelle ça de l'archéologie préventive, et c'est très bien… justement dans la région de Clermont-Ferrand, on a mis à jour des dizaines de tombes gauloises qui comptaient chacune des dizaines de chevaux.

Mais pas des chevaux jetés n'importe comment, ce n'était pas des fosses communes, c'était des enterrements à caractère rituel. On ne sait pas très précisément quelle était l'intention, le but de ces rites, mais on constate simplement que les chevaux étaient enterrés.

Il y a un ensemble de phénomènes d'enterrement dont on sait qu'ils étaient destinés à accompagner le mort dans l'au-delà. C'est quand même le seul animal dont on pense, dont l'homme ait pensé qu'il était, en effet comme on le dit d'un terme un peu savant que je n'aime pas beaucoup et qui n'est pas très joli, " psychopompe ".

Mais il est vrai que c'est un animal qui peut nous accompagner dans l'au-delà…C'est un animal transporteur d'âme, et ça lui donne un statut tout à fait unique qui est dû au fait que cet animal a toutes les ambiguïtés, toutes les dualités. Il est à la fois représentation de force et de fragilité, de virilité et de féminité en même temps, et c'est justement cette dualité qui le rend si mystérieux. C'est aussi cette instabilité dans la domestication, c'est un animal qui n'est jamais dans le définitivement...Rien n'est jamais définitivement acquis avec lui, tout ce mystère lui donne un statut tout à fait particulier dont à mon avis l'illustration la plus extraordinaire est le phénomène de l'enterrement. C'est le seul autre mammifère que l'homme enterre avec lui-même.

 

C'est aussi le cheval blanc et le cheval noir, la vie et la mort, le bien et le mal...

Au point que le cheval existe aussi dans les mythologies, y compris dans les pays où il n'y a pas de chevaux. L'homme ne peut se passer de cette image, de cette représentation. C'est une banalité de rappeler le centaure, les mythologies germaniques…enfin, bon ça c'est banal.

Est-ce une chose que vous avez pu constater dans vos expériences, dans vos pérégrinations ? Quand un homme de cheval ou un passionné de cheval rencontre un homme de cheval d'une autre culture, à l'autre bout du monde, est-ce qu'il se passe tout de suite quelque chose ? Quelle est votre expérience là-dessus ?

Il se passe éventuellement quelque chose, mais pas systématiquement. Quelque chose, parce que comme l'a très bien dit un ethnologue qui s'appelle Jean- Pierre Digard, il y a quand même deux grandes civilisations du cheval.
Il y a la civilisation des nomades, qui ont une relation au cheval utilitaire, et puis d'autre part, et c'est tout à fait différent, la civilisation des écuyers ou le cheval est un animal rare, ou on invente une équitation savante et souvent il y a une sorte d'incompréhension entre les cavaliers nomades pour lesquels le cheval est un instrument commun, bon marché, facile à trouver, pratique… on va à l'école avec, on est né entre ses jambes… alors que chez les écuyers, dans la civilisation qui est la nôtre, qui est celle du monde occidental, elle est la seule à donner naissance à une équitation savante.

Les traités d'équitation, vous ne les trouverez jamais issus de populations chez qui l'équitation est aussi banale, aussi simple, aussi normale que la marche à pied. Elle nécessite aussi peu de théorie que chez nous la civilisation de la bicyclette, par exemple ! Il y a peu de traités de l'utilisation de la bicyclette quand même, et donc je vois souvent chez des cavaliers qui ont eu un enseignement classique, qui ont l'habitude d'une certaine forme de relation au cheval faite de respect, de " susucre " et de carottes, ou éventuellement de chuchoteurs…Je les vois souvent un peu choqués, surpris au contact, à la première fréquentation des Kirghiz, des Mongols, de toutes ces populations qui ont une relation au cheval qui leur apparaît comme assez brutale.


Je me souviens de la stupeur de tous ces garçons, ces filles qui sortaient de ce chuchoteur américain Pat Parelli, imbibés, complètement paralysés et qui arrivaient en Mongolie où ils voyaient que pour attraper un cheval c'est une aventure sportive, on prend une longe, un petit truc, on tire dessus, on tape dessus, on court derrière. Les chuchoteurs, ce n'est pas pour les attraper…

Il n'y a pas de chuchoteurs en Mongolie ! Donc cette espèce de grand amour universel, ce langage commun entre les gens qui utilisent les chevaux, moi je n'y crois pas trop. Ce n'est pas évident, ça ne fonctionne pas toujours !

Alors le succès des chuchoteurs, ne vient-il pas du fait que les gens vivent dans les villes ou à la périphérie des villes, d'un besoin de retour à la nature ? Est-ce que ça vous parait expliquer ce succès fulgurant ? Existe-t-il d'autres raisons également ?

Il y a mille raisons. Une des raisons est la généralisation de l'incompétence. C'est à dire que comme les gens qui utilisent les chevaux aujourd'hui sont à 99,9% des citadins, qu'ils n'ont plus la connaissance du cheval, il ne savent plus comment réagit un cheval, pour dire la vérité : ils ont peur des chevaux.

Tout à fait !

Quand vous trouvez quelqu'un qui vous propose en huit jours, en quatre stages ou en quatorze leçons de vous expliquer " l'art et la manière de ", alors évidemment on achète, bon c'est ça le succès des chuchoteurs, c'est une espèce de connaissance du cheval clé en main, mais je ne suis pas sûr que…on est très proche quand même de l'illusion ! Je ne crois pas qu'il est d'autres moyens de connaissance que de les fréquenter longtemps et beaucoup.

Etre en quelque sorte ce qu'on appelle un " Homme de cheval "…

Oui, oui…et le succès des chuchoteurs, je le comprends très bien. La féminisation du monde du cheval et l'urbanisation des cavaliers dans notre monde rendent très attrayants tous ces gens qui disent : " mais non, mais non, n'ayez pas peur, mais venez donc, on va vous montrer en huit jours comment dominer ces grosses bêtes ".

Et puis il y a aussi peut-être cette espèce de sensiblerie actuelle : on ne veut pas d'éperons, on ne prend pas de cravache, on ne veut pas de mors.

Ce qui est d'ailleurs très dangereux, notamment par ce que l'on voit dans les campagnes de défense des chevaux...L'intention est charmante d'ailleurs, elle n'est pas critiquable. Tous ces petits garçons, ces petites filles qui signent des pétitions contre l'utilisation des chevaux dans les cirques, contre l'utilisation même des courses…Il y a des gens qui trouvent qu'il faut finir par interdire ces courses hippiques qui contraignent le cheval, tous ces appareillages qu'on utilisent en particulier dans le monde du trot, tout ça commence à déclencher des manifestations, des pétitions.
Attention ! Attention ! tous ceux qui préconisent une limitation de l'utilisation du cheval prennent le risque de voir le cheval disparaître ! La seule sauvegarde du cheval, c'est son utilisation. Il faut bien le savoir, il faut le dire et le redire. Bien sûr utilisons le en respectant de l'animal, bien sûr il faut militer, travailler, continuer à travailler pour éviter les abus, les brutalités, les violences, qui sont en plus contre-productives d'ailleurs, mais préconiser la non utilisation du cheval c'est le condamner à la disparition.

Dans " S'épanouir à cheval " que je viens de terminer chez Belin, je cite un petit ouvrage qui était édité sous votre direction, dans votre collection, qui s'appelle " Eros et Hippos "

Oui…oui…

Et un des auteurs parlait de " bardotisation " du cheval, en référence à Brigitte Bardot

En effet Brigitte Bardot avec des intentions charmantes, des sentiments qu'on ne peut pas critiquer, à mon avis comme tous ces petits garçons, ces petites filles qui étaient pleins de bonnes intentions, recommandent la non utilisation du cheval dans plein d'activités. Ils ne se rendent pas compte que l'on va dans le mur.
Ce qu'il faut, c'est continuer à encourager l'utilisation du cheval en veillant à ce que cette utilisation soit correcte, convenable et respectueuse. Moi je vois, il y a des tas de races qui sont en train de disparaître sous nos yeux y compris chez nous. Il n'y a pas besoin d'aller très loin dans nos pays, dans nos contrées où on n'a pas fait preuve de beaucoup d'imagination débordante quand il a fallu utiliser ou transformer les chevaux de trait : on a dit voilà on va en faire des chevaux lourds, ce qui montre bien que notre seule idée c'étaient d'en faire de la boucherie ! Bon ! Donc je commence par un mea culpa : l'Occident, on n'a pas été très brillant dans la reconversion des chevaux.
Mais je vois le cheval Karbardine dans dix ans il n'y aura plus de chevaux Kabardine ! Le cheval du Don ? Dans dix ans il n'y aura plus de chevaux du Don ! Pourquoi ? C'est que il n'y a plus d'utilisation de ces chevaux-là, et donc, ce qui est urgent si l'on veut sauver les chevaux, ce n'est pas de protester contre les mauvais traitements dont ils sont victimes ou de protester contre l'hippophagie, ce qui est urgent, c'est de trouver de nouvelles utilisations pour le cheval.

Tout à fait. Pour conclure, c'est vrai qu'à l'heure actuelle le mot dressage est pratiquement suspect.

Oui, enfin, c'est déjà mieux que dompter. A une époque au XIX° siècle, J.S Rarey* n'hésitait pas à publier un traité sur " L'art de dompter les chevaux "… Donc le mot dressage, on peut l'utiliser ! Dans l'inflation générale du vocabulaire, en effet on peut aller en sens inverse et adoucir le propos, il n'y a plus d'aveugles, il n'y a plus que des non-voyants, ça n'empêche pas qu'il y a des gens qui ne voient pas clair ! Alors on peut parler de l'éducation du cheval, moi je veux bien ! Mais le mot éducation lui-même est assez suspect…je ne sais plus comment dire… l'approche, la fréquentation, voilà !

Ces propos d'un homme de cheval sont particulièrement intéressants. Jean-Louis Gouraud, je vous remercie vivement.

Non c'est moi, merci.

Interview réalisée par Bernard CHIRIS - ( Photos Elisabeth Chiris )
Janvier 2007

Notes
*L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux a réellement existé: il s'appelait John S. Rarey. Au siècle dernier, cet Américain avait acquis une renommée internationale pour sa capacité à gagner la confiance des chevaux. Il a livré son secret dans un livre, paru en 1858, enfin réédité sous ce titre: L'Art de dompter les chevaux. John Salomon Rarey est l'inventeur d'une méthode pour amadouer les chevaux les plus rétifs en un temps record, présentée par Jean-Louis Gouraud. © Chiris 2007

Entretien avec...

D.Desmé-B.ChirisEntretien avec...DOMINIQUE D'ESME

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Attitude-Position / Pas / Trot / Galop / Epaule en dedans / Appuyer
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